L’ensemble consacré à Max Jacob dans les fonds de la BLJD est l’un des plus significatifs qui soit. Son origine remonte à la fondation même de la bibliothèque par Jacques Doucet : le grand collectionneur a commencé, sous l’impulsion de son ami André Suarès qui lui en souffle l’idée en 1913, à rassembler une bibliothèque littéraire placée sous le signe de la modernité.
Loin des panthéons littéraires reçus, le couturier se procure manuscrits et éditions originales des écrivains qui marquent le passage à la modernité littéraire : depuis Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, puis les symbolistes, jusqu’aux écrivains de « l’esprit nouveau » dont Apollinaire proclame l’avènement dans une conférence restée célèbre, les poètes et prosateurs qui entrent les premiers dans la bibliothèque de Doucet marquent dans leur œuvre une rupture radicale avec la conception mimétique de la littérature qui prévalait jusqu’au milieu du XIXe s. ; désormais, les thématiques modernes (la ville, son univers sonore et visuel, la vitesse, les couleurs) et, plus encore, une écriture qui bouscule le lexique, la syntaxe, la prosodie, avant de les dynamiter tout à fait, sont le signe du profond renouvellement de la création littéraire.
Avec Max Jacob, proche d’Apollinaire, de Reverdy, dès 1917, une correspondance s’ébauche, des manuscrits entrent dans les collections, dont je ne puis donner qu’un aperçu : ainsi le passionnant ms du Cornet à dés, de 190 feuillets, qui réinvente le poème en prose, complété de ses épreuves corrigées et d’un bel exemplaire de l’édition de 1917, dont Doucet soutient la publication ; le ms du Siège de Jérusalem, de 70 feuillets, publié en 1914 par le grand galeriste Daniel-Henry Kahnweiler avec des eaux-fortes de son ami Picasso, dont Doucet acquiert aussi l’un des 85 ex sur Hollande. Enfin, il se livre pour le collectionneur, soucieux de comprendre les évolutions et révolutions artistiques de son temps, à de minutieuses analyses, dans une correspondance commandée par Doucet. Elle est aussi complétée par des lettres figurant autant de « portraits de l’auteur », qui se développeront parfois sous forme de romans, comme Filibuth ou la montre en or, paru en 1922.
Ce premier ensemble dû aux acquisitions de Doucet est régulièrement complété par des entrées postérieures : dans d’autres fonds importants figurent des correspondances – ainsi dans le fonds Michel Leiris, qui, tout jeune, fut très proche de Max Jacob (69 lettres et cartes, 183 ff) ou dans le fonds Natalie Clifford Barney ; voire des manuscrits, comme dans le fonds Tzara. Il s’est enrichi récemment d’échanges épistolaires avec des acteurs de tout premier plan de la vie littéraire et éditoriale, grâce à la générosité de ses ayants droit, Madame Lorant-Colle et Madame Saalburg (lettres de Marcel Arland, de Jean Paulhan, de Paul Morand, de Drieu La Rochelle) ; une importante acquisition est venue l’an passé compléter cette impressionnant massif épistolaire avec les quelque 250 lettres adressées au jeune poète Marcel Béalu.
Max Jacob, outre le poète que l’on connaît dans son étonnante fantaisie, est un merveilleux épistolier qui se révèle dans toute sa délicatesse au travers de sa correspondance.
Pour l’écrivain, le poète, le langage est l’homme même et la langue de chacun donne accès à sa personnalité. Correspondances et poèmes ou récits se répondent dans une grande cohérence.
Dans Cinématoma, en 1920, il brosse ainsi des portraits ou plutôt des caractères à la manière de la Bruyère à travers les seuls propos prêtés à ses personnages, qui les incarnent mieux que ne sauraient le faire des descriptions.
"Ce qui est l’homme même, c’est son langage, sa spontanéité" préface du Cornet à dés 1917.
C’est la force de Max Jacob, que Jean Paulhan avait immédiatement décelé chez le poète.
C’est maintenant une autre belle et généreuse donation composée d’une part d’un tapuscrit de ce qui deviendra Conseils à un jeune poète et d’autre part d’un ensemble de lettres, qui, par l’entremise des Amis de Max Jacob et grâce à la générosité de la famille Prieur, vient ce soir enrichir encore cette bibliothèque toujours vivante.
Isabelle Diu
Directrice de la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet