AccueilActivitésArchivesEn 2014Man Ray, Picabia et la revue Littérature, compte rendu par Marie-Claire Dumas

Man Ray, Picabia et la revue Littérature, compte rendu par Marie-Claire Dumas

Exposition au Centre Pompidou à Paris, du 2 juillet au 8 septembre 2014

Page publiée le 9 août 2014

La revue Littérature, créée par Breton, Aragon et Soupault en 1919, emprunte son titre, non sans ambiguïté, à une suggestion de Paul Valery. Elle connaît une première série, de mars 1919 à août 1921 (soit vingt numéros), dont l’aspect reste traditionnel, alors que les textes publiés échappent de plus en plus à la littérature pour s’ouvrir aux conflits qui divisent les divers partisans de Dada. Le dernier numéro est consacré à « L’affaire Barrès ».

Après l’échec du Congrès de Paris dont Breton avait pris l’initiative, une seconde série voit le jour, de mars 1922 à juin 1924 (soit treize numéros) : format plus grand, couverture illustrée. La couverture des trois premiers numéros affiche, sur un fond rose ou bleu, un chapeau haut de forme renversé d’où sort le titre Littérature, dessin signé Man Ray. À partir du numéro 4, Breton, qui a pris seul la direction de la revue, confie l’illustration de la couverture à Francis Picabia. Désormais, chaque numéro comporte une illustration différente, dont le graphisme net, en noir et blanc, se détache sur un fond blanc. Fait exception le premier numéro, qui s’orne d’un cœur rouge, ceint d’une couronne d’épines, entaillé d’une plaie saignante, d’où sort une croix entourée de flammes – image anticléricale, ou réponse au Cœur à barbe de Tristan Tzara ? Pour qui veut suivre l’histoire de Littérature, la préface de Marguerite Bonnet « Littérature et le reste… », destinée au reprint de la revue par Jean-Michel Place en 1978, apporte de précieuses informations.

En 2008, la Galerie 1900-2000 présente la série des dessins que Picabia avait dessinés, avec diverses indications pour une éventuelle publication. En effet, les neuf dessins publiés en couverture de Littérature ne représentent qu’une partie des propositions de Picabia (dix-sept nouveaux dessins). La découverte de ce trésor iconographique, retrouvé dans l’atelier de Breton par Aube Breton-Elléouët, constitue une révélation à la fois sur un moment de la création de Picabia, et, par les allusions contenues dans certains dessins, sur la distance qui pouvait séparer le peintre du directeur de la revue. Dans ses dessins à l’encre noire, aux contours minutieusement délimités, Picabia inscrit de façon désinvolte les lettres de « littérature » et joue de motifs humains ou animaliers, dont la séduction poétique n’exclut jamais l’humour grivois ou la charge critique. S’il illustre Littérature, il utilise aussi certains de ses dessins pour critiquer Breton dans sa revue 391. Il reste de toute évidence en marge de l’aventure surréaliste.

L’exposition du Centre Pompidou, qui reprend les dessins exposés en 2008, nous apprend qu’ils ont été acquis par le musée et en fait une remarquable présentation. Chaque numéro illustré par Picabia est ainsi le centre d’une pléiade d’œuvres et de textes qui lui donnent un contexte éclairant. Pour ne citer que quelques exemples, les toiles de Picabia, peintes au ripolin, le tableau de Picasso Les Amoureux, les photographies de Man Ray comme Le Violon d’Ingres, les vignettes de Max Ernst, beaucoup de documents conservés au musée, entourent chaque numéro de la revue.

Cette dernière en effet ne se contente plus de publier des textes mais fait place aux images, dont Man Ray est le principal pourvoyeur. Bien entendu, Marcel Duchamp n’est pas loin, avec Voici le domaine de Rrose Sélavy (dit aussi Élevage de poussière) photographié par Man Ray, tout comme Robert Desnos, dont les dessins et les aphorismes, produits lors des séances de « sommeil hypnotique », ont été prêtés par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.

Cette exposition est un vrai régal, tant par la qualité des documents réunis que par l’humour parfois grinçant mais toujours jubilatoire qui en émane. Un élégant catalogue, abondamment illustré, comportant une notice biographique des auteurs de Littérature et une chronologie 1922-1924, avec des articles sur Littérature, les dessins de Picabia et le rôle de la photographie dans la revue, porte témoignage de cette exposition particulièrement réussie.

Les deux dessins de Picabia ci-dessus reproduits appartiennent aux collections du Centre Pompidou. Le dessin de Desnos fait partie des fonds de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.

Uli

Statue du Nord de la Nouvelle-Irlande, hauteur 125 cm.
Don d’Aube et Oona Elléouët

© 2005-2011 Doucet Littérature
Site réalisé avec SPIP, hébergé par l’AUF